L’annulation d’une série de conférences qui devaient être données au début du mois d’avril dans les diocèses ontariens d’Ottawa et d’Alexandria-Cornwall par un jésuite mexicain a ravivé la controverse sur l’organisme Développement et Paix (D&P) au sein de l’Église canadienne. Le père Arriaga, directeur du Centre Prodh à Mexico, était accusé par des blogues catholiques anglophones d’avoir des liens avec des groupes pro-avortement. Ces accusations, visiblement prises au sérieux par quelques évêques, ont suffi à rendre le père Arriaga persona non grata en Ontario. Le scénario de 2009, où la crédibilité de l’organisme était remise en question et où les évêques canadiens avaient peiné à calmer la situation, semble se répéter. Mais alors que l’affaire avait fait peu de bruit au Québec en 2009, voilà que plusieurs voix se sont élevées pour crier leur ras-le-bol au cours des dernières semaines.
« Des groupes d’idéologie conservatrice qui prétendent être « les vrais catholiques » remettent en question l’autorité morale des évêques en les harcelant et en s’attaquant vicieusement depuis des années à Développement et Paix, ce qui a des conséquences désastreuses auprès des groupes partenaires du Sud », déplore le père Claude Lacaille, prêtre de la Société des Missions-Étrangères, dans son commentaire biblique sur le site Interbible.org.
Il incite la population à faire connaître son soutien à D&P en écrivant aux évêques.
Le Centre PRODH fait partie des groupes mexicains ayant provoqué la controverse autour de D&P, il y a deux ans. Le rapport du comité d’enquête de la CECC sur les organisations non gouvernementales partenaires de l’organisme a été rendu public en juin 2009. L’organisme a été lavé de tout soupçon en ce qui concerne les accusations que portait contre lui ces sites Internet anglophones, dont LifeSiteNews.com.
Mais les conclusions du rapport ont toujours été balayées du revers de la main par LifeSiteNews et d’autres blogues anglophones, qui ont poursuivi leurs « enquêtes internationales » sur l’organisme catholique principalement depuis leurs ordinateurs en Ontario.
Alors que la situation semblait se stabiliser et que l’épiscopat canadien assurait vouloir mieux gérer cet organisme – reconnaissant tout de même qu’il y a des aspects à améliorer dans son fonctionnement – voilà que la décision de l’archevêque d’Ottawa propulse à nouveau cette affaire à l’avant-scène de l’actualité catholique au Canada.
« L’archevêque d’Ottawa Mgr Terrence Prendergast, S.J. refuse l’hospitalité à un confrère jésuite qui dirige un important Centre de défense des droits humains au Mexique et lui interdit de parler dans son diocèse alors qu’il était l’invité de Développement et Paix pour le carême de partage. Le prélat renie et outrage ainsi l’œuvre courageuse et persévérante de sa propre Congrégation depuis des décennies dans un pays déchiré par les assassinats et la violence ! », s’indigne le père Lacaille dans sa chronique « Justice sociale » du 15 avril 2011 sur Interbible.org.
« Supportons [sic] Développement et Paix dans cette crise afin de pouvoir continuer collectivement à appuyer les populations pauvres et vulnérables dans les pays du Sud et redonner espoir à ceux et celles qui en ont le plus besoin », conclut-il, citant l’un des objectifs de Développement et Paix.
Le père Lacaille persiste et signe
Dans une entrevue accordée à PROXIMO, le père Lacaille en rajoute.
« C’est comme si on était dans une espèce de mafia », illustre-t-il, en affirmant qu’il y a de « l’à-plat-ventrisme » chez les évêques canadiens, notamment au Québec, alors que la situation dure depuis plusieurs années.
Son message pour l’épiscopat est clair : « Arrêtez d’avoir peur ! ».
« Il ne faut pas se laisser manipuler [par des sites Internet] ». Il assimile ce silence à un endossement tacite d’une forme d’intégrisme catholique au Canada.
Le père Lacaille affirme par ailleurs que certains évêques canadiens souhaitent la mort de D&P.
L’ancien missionnaire n’était pas surpris de voir plusieurs de ces sites s’en prendre à lui, le traitant de prêtre « liberal » et lui reprochant ses propos sur l’archevêque d’Ottawa, Mgr Terrence Prendergast.
« Ils me reprochent d’avoir dit que Prendergast est ignorant et arrogant [dans ce dossier]. Oui, il l’est », tranche-t-il. Quant à se faire qualifier de « liberal », le père Lacaille en est plutôt amusé : « C’est bien la première fois de ma vie qu’on me dit que je suis libéral ! », blague-t-il, en précisant qu’il est conscient que la définition n’est pas la même en français qu’en anglais.
Il affirme ne pas être affecté par les critiques dont il a été l’objet sur Internet au cours des derniers jours. « C’est pas la première fois [qu’on me critique]. J’ai toujours eu mon franc-parler, alors j’encaisse. Il faut être capable de se tenir debout dans la vie. J’ai vécu sous Pinochet [Chili], Duvalier [Haïti], et sous une dictature militaire en Équateur. Ils m’ont sorti du pays, mais ils ne m’ont pas fermé la boîte ! »
Les paroles de Claude Lacaille sont directes et dures, mais tout au long de l’entrevue il garde un ton posé. « Ce n’est pas du ressentiment que j’ai avec l’Église, assure-t-il. Mais j’aime que les choses marchent « droite ». Et quand il y a des injustices, je ne me tais pas. Je n’ai jamais travaillé pour D&P, mais j’ai dit aux évêques : « c’est le plus beau travail que vous ayez fait pour les pauvres. Ne détruisez pas ça. »
D’autres appuis au père Lacaille
Alors que le père Lacaille dit son indignation, une autre lettre circule présentement dans les milieux catholiques québécois. Proposée par différents noms connus de la pastorale sociale au Québec, dont Constance Vaudrin, Lucille Plourde, Normand Breault de Développement et Paix et Gérard Laverdure de Sentiersdefoi.info, elle invite à son tour la population à faire part de ses préoccupations aux évêques québécois.
« Je vis un grand malaise et beaucoup d’indignation quant au sort réservé à Développement et Paix qui a dû annuler dernièrement la visite d’un partenaire du Sud », commence la lettre destinée à être signée et envoyée aux évêques.
« Ces groupes intégristes, dont LifeSiteNews au Canada, reviennent à la charge dans leur tentative de diviser l’Église en mettant en opposition certains évêques conservateurs qui les appuient et la Conférence épiscopale canadienne dans son entier qui, selon ces fanatiques, aurait abandonné la vraie foi et les enseignements du magistère ! », avance-t-elle dans l’un de ses paragraphes.
Les auteurs de cette lettre confirment s’être inspirés de celle proposée par Claude Lacaille.
Questionné par PROXIMO, Gérard Laverdure juge qu’il est temps de régler cette affaire.
« L’initiative de deux ou trois évêques de faire pression sur D&P afin d’annuler l’invitation du responsable d’un Centre mexicain très engagé dans la justice sociale et la défense des droits humains est un verre de trop », indique-t-il.
Il décèle chez certains sites Internet canadiens une influence américaine. M. Laverdure déplore la présence d’une « propagande politique conservatrice d’inspiration chrétienne intégriste et des discours des capitalistes radicaux ».
Dans une lettre ouverte rédigée cette semaine, il ne passe pas par quatre chemins pour exprimer son opinion :
« Toutes les religions ont leur part d’intégristes et l’Église catholique romaine ne fait pas exception surtout par les temps qui courent. Depuis quelques années en effet, des groupes dont Lifesitenews de Toronto, attaquent l’ONG Développement et Paix sous de faux prétextes. C’est le clou qu’ils enfoncent à coup de marteaux démagogiques, accusant D&P de pro-avortement pour le discréditer, sans tenir compte de l’ensemble des interventions pour les droits humains et la justice sociale dans ce Mexique de violences extrêmes », indique-t-il.
« D&P a été mis sur pied par les évêques canadiens après le Concile Vatican II (1967) pour lutter contre la pauvreté et les injustices sociales en partenariat avec des organisations populaires reconnues des pays du sud. L’objectif a toujours été d’aller aux causes structurelles de l’appauvrissement plutôt que d’éponger indéfiniment les conséquences désastreuses des exclusions économiques et sociales. »
Claude Lacaille et les quatre auteurs de cette lettre ont beaucoup fait parler d’eux cette semaine dans les milieux catholiques québécois, alors que leurs écrits ont été relayés par courriel et sur Internet. Ils savent qu’ils seront critiqués, mais ne s’en préoccupent par à outrance. Pour eux, il est temps d’en finir avec cette histoire. Ils en ont ras-le-bol.
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À noter : les évêques d’Ottawa et d’Alexandria-Cornwall font partie des noms évoqués pour succéder au cardinal Jean-Claude Turcotte en tant qu’évêque de Montréal. La position de Mgr Prendergast est connue. Mais selon mes informations, Mgr Paul-André Durocher (Alexandria-Cornwall) était absent lors de la décision d’annuler les conférences du père Arriaga dans son diocèse. Il aurait semble-t-il indiqué qu’il n’était pas entièrement d’accord avec cette décision.
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Le Congrès 2011 de Campagne Québec-Vie (CQV) aura lieu le 15 mai. Il sera notamment question de Développement et Paix, puisque CQV invite John-Henry Westen, rédacteur en chef de LifeSiteNews. Un atelier spécial sera offert en fin de journée par M. Westen et Georges Buscemi intitulé : « L’appui par Développement & Paix d’organismes promoteurs de l’avortement dans le tiers monde : les preuves et les remèdes à apporter. (en français et en anglais avec traduction simultanée). »
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Pour l’anecdote, c’est dans le cadre de leur congrès de l’an dernier que le cardinal Ouellet avait tenu ses propos sur l’avortement qui ont fait réagir tant de gens.
La question n’est pas de savoir s’il faut se scandaliser au sujet de Développement et Paix ou bien au sujet de l’annulation d’un conférence d’un prêtre sud-américain inconnu ici. Je doute que les « campagnes » menées par ces quelques catholiques québécois d’avant-garde qui sont aussi en majorité à l’âge de la retraite recueillent autant d’appui que les appels d’un Jean Tremblay au maintien de la prière municipale. C’est peut-être dommage pour certains, mais c’est ainsi: ceux et celles qui pensent comme ces catholiques d’avant-garde nés avant-hier, et qui sont des générations suivantes, sont depuis longtemps passés à autre chose que l’Église ou même à autre chose que la foi chrétienne; c’est la situation de la majorité des Québécois, en tous cas des francophones dits de souche.
Sur le fond de la question maintenant, dont vous ne parlez pas. Il faudrait arrêter de traiter ces questions sur le mode superficiel consistant à situer les protagonistes à gauche et à droite avant même d’avoir posé les jalons du fondement de telles qualifications. En l’occurence, Développement et Paix est défendu par les uns et serait attaqué par les autres, parce que cet organisme soutient des initiatives sociales, économiques voire politiques (en un sens) en faveur des démunis dans les pays de développement. Je n’ai rien contre, je suis même pour, et pourtant je suis un catholique conservateur et papiste, mais justement je me rappelle les encycliques sociales de Paul VI et Jena-Paul II. Donc, je serais à gauche pour les fins de ce débat?… Ce serait simpliste comme conclusion, n’est-ce pas.
Par ailleurs, suffit-il qu’un missionnaire soutienne des projets bénéfiques pour les pauvres pour que toutes les options de ce missionnaire lui donnent droit à l’appui officiel de l’épiscopat d’un pays donateur? Pour ma part, je ne le crois pas. En tant que laïc qui se fait dire par les évêques d’ouvrir ma bourse, je réclame un discernement. Dans ma tête, construire un puits pour des paysans, c’est pas du même ordre que promouvoir la contraception. Je sais qu’il y a des mouvements citoyens de bonne volonté pour qui soutenir l’émancipation économique et sociale de populations défavorisées doit aller de pair avec une éducation morale aux « droits de la personne » suivant les conceptions de nos sociétés occidentales post-modernes. Je trouve que ces organisations peuvent être respectables et faire preuve de générosité. Mais, en tant que catholique, je récuse absolument l’idée qu’aider financièrement et techniquement mes frères et soeurs dans le besoin implique de favoriser aussi l’accessibilité à l’avortement, et que si je suis en désaccord avec ça, c’est que je suis contre le développement et pour les riches! Il y a suffisamment de besoins criants et urgents dans le monde entier pour ne pas être obligé, en tant que catholique, d’appuyer des oeuvres qui ne suivent pas l’enseignement de l’Église. Alors, suis-je de « droite » dans ce débat? Non monsieur: je suis un client qui veut savoir à quoi sert l’argent qu’on lui demande. Ce que je constate dans votre article, c’est que Gérard Laverdure, justement, ne répond pas à la question qui se pose: au lieu de démontrer que le prêtre dont la conférence a été annulée n’est pas pro-choix, il se contente d’accuser les adversaires de Développement et Paix d’en avoir contre le progrès social des pays pauvres. Trop simplet, monsieur l’abbé! On n’est plus dans les années 50. Expliquez-vous mieux que ça, si vous le pouvez.
Il est difficile de rester muet devant ce qui apparaît de plus en plus comme une guerre entre deux façons de concevoir le développement: droite et gauche pour faire simpliste.
Seulement, Développement et Paix est un organisme catholique qui relève des évêques catholiques canadiens. Donc, un organisme qui doit refléter les vues et actions de l’Église catholique en matière de développement, sans normalement se situer à droite ou à gauche, mais plutôt se situer dans l’esprit du développement des conditions gagnantes pour que les peuples qui bénéficient de ce soutien puissent à leur tour faire les choix sociaux qui sont les leurs, inspirés par l’Évangile. Point.
J’ai bien peur que ce débat ne reflète plutôt autre chose. Le désir de certains catholiques canadiens de voir un organisme de développement qui travaille en leurs noms, et qu’ils jugent trop à gauche en général, tomber.
Mais alors, quel organisme pourrait remplacer tout le travail effectué depuis 1967 par Développement et Paix? Quelle serait la mentalité qui prévaudrait aux actions et soutiens posées par ce ‘nouvel’ organisme?
Et enfin, est-ce que cet organisme relèverait des évêques ou bien des laïcs ou d’un travail commun comme c’est le cas présentement?
Ce sont des questions que devraient se poser les pourfendeurs de D&P. Car, avant de bombarder de fiel la réputation d’un organisme, qui peut certes avoir commis des erreurs, il aurait peut-être fallu qu’un dialogue s’installe entre les pourfendeurs et les responsables de D&P.
Les deux protagonistes l’ont-ils seulement chercher?
Et dans ce débat – qui prend parfois des allures d’inquisition – ou se situe l’esprit de l’Évangile?
Et si les défenseurs de Développement et Paix répondaient tout simplement à la question au lieu de l’esquiver, comme vous venez d’en faire à nouveau la démonstration? Répondre clairement, c’est la meilleure manière de ramener le débat sur le terrain où vous prétendez qu’il se situe. C’est pourtant facile à comprendre, et en plus, c’est parfaitement évangélique: « Que votre oui soit oui, que votre non soit non ».
Vous dites en effet:
« Développement et Paix est un organisme catholique qui relève des évêques catholiques canadiens (…) organisme doit refléter les vues et actions de l’Église catholique en matière de développement, sans normalement se situer à droite ou à gauche, mais plutôt se situer dans l’esprit du développement des conditions gagnantes pour que les peuples qui bénéficient de ce soutien puissent à leur tour faire les choix sociaux qui sont les leurs, inspirés par l’Évangile. Point. »
Ce que vous dites, c’est que la seule référence d’un tel organisme doit être ce que sont « les vues de l’Église catholique en matière de développement. POINT. » (je souligne)
Est-ce à dire que les fidèles comme moi ne doivent pas s’attendre à ce que leurs évêques aient à coeur de soutenir un organisme de développement dont les initiatives soient cohérentes avec l’enseignement de l’Église sur d’autres points que le magistère estime cruciaux?
Admettez que c’est exactement ce qui ressort de la manière dont vous tentez d’orienter la discussion. Une manière très cléricale et doucereuse, pour ne pas appeler les choses par leur nom! Car on pourrait user d’autres épithètes.
Et c’est inutile de tenter de noyer le poisson en disant que le développement ne doit se soucier ni de la gauche ni de la droite. Un catholique qui adhère à l’enseignement de l’Église sur la contraception et l’avortement est-il de droite, et donc disqualifié pour participer au débat? Mais enfin, qu’est-ce qui empêche d’appuyer l’enseignement moral de l’Église et en même temps de soutenir financièrement des projets qui vont aider les populations de pays défavorisés à se prendre en main? En quoi est-ce incompatible? Pourquoi laisser entendre qu’une telle position doctrinalement orthodoxe ET socialement conscientisée ne serait au fond que l’expression d’une hostilité sourde à l’engagement de l’Église en faveur du développement international ?? Qu’est-ce que c’est que ce sophisme qu’un étudiant de première année de CEGEP en philo pourrait démonter en 5 minutes?
Pour qui nous prend-on à la fin?
Jean-Pierre Moreau
Je confirme et je suis prêt à me présenter devant n’importe quel tribunal pour donner les preuves du financement pro-avortement de D&P en Amérique latine. Voir mon blog : http://www.terrorismepastoral.blog4ever.com
Monsieur Moreau,
J’ai consulté votre site et j’ai relevé beaucoup de commentaires sur le CCFD mais peu de choses portant sur Développement et Paix du Canada. Pour m’aider à mieux comprendre vos allégations, pourriez-vous me présenter le cas le plus manifeste «de financement pro-avortement de D&P en Amérique latine»?
@Monsieur Girard:
Allez voir au http://www.cqv.qc.ca/fr/crisedp
Vous allez y trouver plusieurs pistes de recherche (plusieurs des preuves contre D&P sont présentées en anglais car elles proviennent du site LifeSiteNews et du blogue SoCon or Bust.)